L’innovation dans la gouvernance coopérative au service des territoires ruraux
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L'alliance entre Cuma et collectivités locales ouvre de nouvelles perspectives pour l'agriculture.
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Les Cuma et les collectivités : un partenariat d’avenir
Lucie SUCHET
Cheffe du pôle engagement et influence, FNCuma
Comment ces partenariats peuvent-ils répondre aux besoins des territoires tout en renforçant le modèle coopératif ? Découvrez ici des exemples concrets de cette collaboration prometteuse.
Les Cuma, « un commun » agricole et rural
En 1966, Edgard Pisani annonçait que les Cuma auraient un rôle important à jouer dans la mise en place d’un « mode d’organisation plus territorialisé et humanisé » et qu’elles seraient appelées « au-delà d’une gestion communautaire du travail à de nouvelles responsabilités vis-à-vis des territoires ». En 2021, à l’occasion d’une Grande Consultation sur le futur des Cuma lancée par la FNCuma avec Make.org et ayant recueilli 12 000 réponses, 67 % des agricultrices et agriculteurs
répondant étaient favorables à la possibilité pour les collectivités et les associations d’adhérer aux Cuma. Nous y sommes. Comment le partage en commun de machines a pu être facteur d’émancipation, de lien social, de changement de pratiques et aujourd’hui comment ce même partage de machine peut permettre aussi de faire « commun » avec les territoires ruraux dans lesquels sont implantées les Cuma ? C’est l’objet de cet article qui offre une clé de lecture sur une forme de coopération décidément bien à l’étroit dans son acronyme.
Les Cuma, un support d’éducation populaire au sein de l’agriculture
L’histoire des Cuma croise celle de l’éducation populaire, du JACisme puis du MRJC, qui va contribuer à impulser, notamment à l’Ouest, cette dynamique cumiste. En effet, il ne suffit pas à l’État de créer cette forme de coopération en 1945 pour que le système marche. Des visionnaires, tels que Pierre Restif, investissent cet outil au service du développement agricole et rural. C’est à ce moment que « la sauce prend » et que les projets de Cuma se multiplient pour s’enraciner durablement dans la culture agricole. « La mécanisation met au service des cultivateurs des moyens de mieux servir la vie, mieux travailler le sol, exécuter le travail à des périodes plus favorables, etc. C’est cela qui doit nous guider et pas uniquement la satisfaction d’une machine qui va plus vite, un tracteur plus puissant », comme l’affirme le dirigeant JACiste René Colson1. Cette pensée que la machine, au cœur des Cuma, n’est qu’un moyen mais pas une fin, fonde leur identité. Formation, changements de pratiques, échanges entre pairs, lieu de socialisation, amélioration de l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle, entraide, vont se développer à grande vitesse à l’ombre des machines.
La machine, en tant que bien commun partagé, est un support d’éducation populaire2 pour les agricultrices et agriculteurs tout au long des grandes évolutions de l’agriculture : apprentissage de la prise de responsabilité et de la décision collective, formation à la gestion et à la comptabilité, montée en compétence sur l’informatique, expérimentation de nouvelles pratiques agronomiques, gestion RH, innovations, etc. La Cuma a été et reste une école de formation informelle. Elle est régie par les principes de l’éducation populaire : › contribution à l’émancipation individuelle et collective ; › attachement du réseau fédératif à une pédagogie active, formalisée par la façon d’animer les Cuma ou de former, pour faire progresser les collectifs reposant sur le principe que chaque personne est porteuse de savoirs, tous étant sachants et apprenants; › reconnaissance du droit à l’expérimentation, au « tâtonnement » dans son rôle de laboratoire de l’innovation, › transformation des pratiques; › but non lucratif.
L’ensemble du réseau fédératif des Cuma s’est construit autour du rôle central de l’animatrice et l’animateur de groupes d’agriculteurs, dont l’objectif est moins de conseiller que d’accompagner les groupes d’agriculteurs dans leur fonctionnement et leurs réflexions collectives. En cela, les Cuma sont culturellement proches des autres réseaux associatifs d’éducation populaire (Civam, etc.) où le métier d’animation est central. Mieux se comprendre pour mieux fonctionner ensemble, conduit aussi à progresser ensemble, à faire des projets communs et à transformer les pratiques. La sociologue Véronique Lucas parle « d’agroécologie silencieuse » pour qualifier les changements de pratiques qui s’opèrent au sein de ces collectifs. Comme l’évoque une brochure sur l’entraide datant de 1959, et dont le message reste valable aujourd’hui : « Il ne suffit pas d’un statut juridique pour s’entendre. Les rapports humains entre associés sont plus importants que les questions administratives dans cette sorte d’association. Chaque jour il va falloir travailler ensemble, décider de l’urgence à donner ». Le chercheur Madeg Le Guernic, dans ses travaux en matière de gouvernance coopérative3, fait appel au cadre des Communs qui s’applique parfaitement à ce que sont les Cuma, en percevant « la coopérative non comme un nœud de contrat ou une firme mais une coalition »4. On comprend dès lors comment l’éducation populaire, avec ses méthodes, est pertinente dans ce cadre et a pu y trouver aussi un terreau fertile.
1. Vincent Flauraud, François Colson et Véronique Lucas, « Les Cuma et la JAC: Quelles contributions des militants jacistes au développement des Cuma »,?. 14. Journées de Recherche en Sciences Sociales (JRSS), INRAE; SFER; CIRAD, Apr 2021, Clermont-Ferrand, France.
2. Définition issue du rapport, « L’éducation populaire, une exigence du xxie siècle », Christian Chevalier et Jean-Karl Deschamps, CESE, mai 2019.
3. Madeg Le Guernic, «Gouvernance et performance des coopératives en agriculture. Économies et finances», Université Rennes 1, 2021. Français. 4. Tortia, 2018
Du bien partagé aux Communs : comment les Cuma vont-elles au-delà de l’intérêt mutuel ?
Les Communs désignent des formes d’usage et de gestion collective d’une ressource ou d’une chose par une communauté. Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie, analyse les institutions qui permettent une exploitation soutenable des ressources naturelles. Comme le souligne Éloi Laurent5 : « La révolution des communs dont elle sera à l’origine est à la fois une avancée, mais aussi une redécouverte de formes parfois très anciennes de coopération humaine dans le
omaine des ressources naturelles ». Et c’est à ce moment précis que nous retrouvons la Cuma, en tant que ressource, qui réunit une communauté agricole qui s’auto-organise, s’appuie sur des pratiques et des règles. Madeg Le Guernic, dans ses travaux, établit une similarité des Communs avec les Cuma comme « communs artéfactuels ». Ces coopératives dépassent selon lui l’intérêt collectif des agricultrices et agriculteurs pour revêtir un intérêt général notamment en matière de pratiques agroécologiques. À titre d’exemple, des travaux à paraître en lien avec l’Institut Agro
Rennes-Angers démontrent que la présence des Cuma sur le territoire réduit l’utilisation de pesticides. Les causes sont doubles : il y a un effet technologique d’investissement dans des matériels permettant la réduction des pesticides via des discussions collectives sur les choix d’investissement, et il y a un effet sociotechnique des échanges entre pairs sur l’utilisation des matériels agricoles via l’entraide et le transfert d’expérience, et via l’adoption d’innovations écologiques. Ainsi, selon lui, ces travaux tendent à démontrer que les Cuma, de par ce qu’elles sont, répondent à un intérêt mutuel et un intérêt général.
5. Article « Elinor Ostrom: une économiste pour le xxie siècle », Éloi Laurent, Alternatives économiques, 17 juin 2022.
Une forme de coopération appelée à être un trait d’union entre agriculture et ruralité
En 1969, dans le livre blanc des Cuma, le président de la Fédération Nationale des Cuma concluait : « La Cuma devrait déborder largement son cadre d’activité strictement d’utilisation de matériel, pour aborder l’étape de l’utilisation de l’équipement. Stade suivant : la Cuma devenant le véritable centre de l’activité économique et intellectuelle du village ». Cela traduit le « projet politique » du mouvement Cuma qui s’est toujours inscrit dans le développement agricole et rural. Dans les années 1970, certaines d’entre elles, afin de permettre aux habitants du village de partir en vacances, font l’acquisition de caravanes. Des Cuma de congélateurs, créées très tôt dans la frise chronologique des Cuma, sont aujourd’hui encore en activité, utilisées parfois en partenariat avec des mairies pour la conservation de repas servis pendant les fêtes de villages. Les Cuma ont été aussi autorisées dans le code rural à opérer le déneigement pour les communes. On le sait moins, mais le mouvement Cuma a contribué à la création des Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC) permettant des projets multi-parties prenantes sur des territoires. Aujourd’hui, le lien entre
agriculture et ruralité est deplus en plus étroit, et les Cuma jouent un rôle de trait d’union. Des bâtiments de Cuma peuvent avoir un double usage et être utilisés en tant que tiers-lieux, permettant d’accueillir des espaces de coworking pour les habitants et de réunion pour les associations et les collectivités. Les Cuma sont sollicitées par les communes pour les activités de co-compostage des biodéchets, en lien avec les unités de méthanisation. Dans d’autres cas, ce sont des alliances uniques qui se nouent entre chasseurs, banques alimentaires et Cuma, à l’instar de l’Aude où les chasseurs fournissent du gibier à la banque alimentaire du département, et la Cuma assure la découpe des carcasses. Des Cuma de Vendée permettent au Père Noël de distribuer ses cadeaux en aménageant un convoi exceptionnel de machines agricoles. Enfin, des Cuma se mobilisent aux côtés des syndicats des eaux pour mettre en place des solutions durables afin de préserver l’eau potable et la santé des sols. Ces exemples passés et récents pourraient faire l’objet d’une liste aussi longue que le nombre de Cuma. Ils tendent à illustrer que, loin d’être une externalité positive de leur activité, le lien avec la ruralité est constitutif de l’engagement des Cuma qui commence au sein d’un noyau de personnes qui s’unissent pour travailler ensemble, puis s’étend sur le territoire proche.
En conclusion, l’apprentissage du travail en commun, les principes d’éducation populaire et le dépassement de soi qui traversent ces coopératives, les conduisent et les conduiront à être encore plus demain des « Communs » pour l’agriculture et la ruralité en innovant et en s’hybridant. Cette hybridation a déjà commencé dans les territoires ruraux, qui, pour apporter des solutions concrètes sur des problématiques générales, engendre des coalitions inédites entre collectifs d’agriculteurs et d’agricultrices, collectivités et autres acteurs de l’économie sociale et solidaire.
Cette interview a été réalisée dans le cadre de la rédaction des Cahiers du développement coopératif.
La Coopération Agricole publie avec la FNCuma, le 8ème numéro des Cahiers du développement coopératif, dans le contexte de l’Année Internationale des coopératives 2025.
Fruit d’un travail de rédaction commune, ce numéro met en avant les coopératives, le collectif, la solidarité du monde agricole et permet d’amener des pistes de travail et de réflexion sur l’avenir du modèle coopératif et ses nombreux défis.
La Coopération Agricole publie avec la Fédération Nationale des Cuma le 8ème numéro des Cahiers du développement coopératif, dans le contexte de l’Année internationale des coopératives 2025 sur le thème du collectif.
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